En France, l’annulation d’un brevet, national ou d’une fraction française d’un brevet européen, est soumise à l’autorité du juge judiciaire (Articles L613-25 et L615-17 du Code de la Propriété Intellectuelle), donc actuellement le Tribunal de Grande Instance et la Cour d’Appel de Paris.
Cette unique possibilité, à l’initiative des tiers, d’obtenir l’annulation d’un brevet en France est d’autant plus nécessaire et utile que le contrôle de la validité des demandes de brevets durant les procédures de délivrance par l’INPI est très limité (en fait, essentiellement contrôle de la régularité formelle, le seul motif de rejet de fond étant l’absence manifeste de nouveauté – Articles L612-12,7° et L611-11 CPI), et qu’aucune procédure d’opposition après délivrance n’est pour l’instant prévue (la procédure d’observations de tiers après publication du rapport de recherche préliminaire – Article L612-13 CPI – entraîne au mieux une limitation des revendications).
En l’absence de dispositions spécifiques dans le CPI, les conditions de recevabilité d’une telle action se fondent sur les règles de procédure de droit commun, dont l’application est contrôlée par l’autorité judiciaire recevant la demande. En l’occurrence il s’agit du TGI de Paris.
Ainsi, l’Article 122 du CPC indique que : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »
Jusqu’au 17 juin 2008, en l’absence de texte spécifique, il était généralement admis que la prescription applicable était de trente ans (ce qui revenait de fait à une absence de prescription compte-tenu de la durée d’existence maximale possible du brevet), ce en accord avec l’Article 2222 du Code Civil, ou à tout le moins de dix ans en relation avec l’article L110-4 du Code du Commerce (dans les cas où ce dernier article était invoqué pour fonder l’action).
En tout état de cause, une quelconque fin de non recevoir tirée d’un motif lié à une prescription de l’action engagée n’avait jamais été évoquée dans la jurisprudence à notre connaissance.
La situation a radicalement changé depuis l’avènement de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 qui a profondément réformé le régime des prescriptions.
En effet, cette loi récente, qui est d’application immédiate, impose à présent une prescription de cinq ans à l’action en annulation par voie principale, délai tiré à la fois :
– du nouvel Article 2224 du Code Civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer », et
– du nouvel Article L110-4, alinéa I, du Code de Commerce : « Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ».
L’importance de l’impact de cette réforme et les questions qu’elle soulève pour son application ont déjà été relatées par plusieurs auteurs (Emmanuel PY, « Annulation du Brevet », Jurisclasseur, édition 2011 ; Jacques AZEMA, Lamy Droit commercial, n°1839).
La menace jusqu’à présent théorique s’est entretemps concrétisée. Une première décision traitant ce point n’est toutefois intervenue qu’en 2013 et il s’agit à notre connaissance de la seule décision issue à ce jour (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 25 avril 2013, RG10/14406 ; Evinerude c. Aair Lichens et al.).
Bien que le sujet essentiel traité dans cette décision soit l’application des dispositions transitoires, elle porte la discussion sur la difficulté majeure déjà identifiée par les auteurs précités : Quel est le point de départ de la prescription ?
Comme l’a justement analysé le Tribunal, il ne peut s’agir de la date de dépôt puisqu’à cette date les tiers ne sont pas encore informés de l’existence du titre et donc ne sauraient exercer une quelconque action à son encontre.
Mais s’agit-il effectivement, comme l’a retenu le Tribunal dans le cas d’espèce, de la date de publication de la demande de brevet ?
« Le point de départ du délai de prescription ne peut être que celui de mise en connaissance des tiers de l’existence du brevet et de son contenu par le biais de la publication de la demande de brevet ».
La solution semble discutable pour plusieurs raisons :
Tout d’abord dans la lignée de la réflexion du Tribunal, il s’agirait plutôt de la date de publication du rapport de recherche préliminaire (qui peut être postérieure à la date de publication de la demande de brevet, surtout en cas de dépôt sous priorité étrangère), cette publication informant les tiers des antériorités opposables à l’invention revendiquée.
Mais, dans ce cas, ne faudrait-il pas repousser le point de départ de la prescription à l’expiration du délai supplémentaire de trois mois autorisant le dépôt d’observations de tiers ?
De plus, le rapport de recherche préliminaire, et même ultérieurement les éventuelles observations de tiers, peuvent donner lieu à une limitation notable du champ de protection, susceptible de modifier radicalement la situation et les faits pour qui aurait un intérêt à agir.
Dans ces conditions, la date de départ faisant courir la prescription quinquennale devrait-elle être la date de délivrance du brevet français et, par analogie, la date de délivrance « définitive » du brevet européen désignant la France ?
C’est l’avis concordant de plusieurs auteurs, dont ceux précités.
Mais qu’en est-il du tiers qui, nouvel entrant économique ou industriel dans le domaine de l’invention brevetée, n’aura une connaissance effective du brevet et de l’état de la technique pertinent qu’éventuellement plusieurs années après la délivrance ?
Par ailleurs, un nouveau délai quinquennal, fondé sur la protection « figée » lors de la délivrance, prendra-t-il effet à l’occasion d’une procédure de limitation qui modifiera nécessairement les faits dont les tiers sont supposés avoir connaissance ?
Enfin, quels seront le degré et les moyens de preuve requis de la part du demandeur en cas de découverte « fortuite » par ce dernier d’une antériorité pertinente apte à remettre en cause la validité d’un brevet qui le gêne?
Ainsi, l’analyse factuelle à réaliser par les juges sera à l’avenir nécessairement plus conséquente et plus approfondie encore, en particulier lorsque la prescription sera invoquée.
Compte tenu du nouveau motif d’irrecevabilité de l’action tirée de l’instauration d’une prescription quinquennale, dont la jurisprudence devra encore confirmer les règles de détermination, on devrait assister mathématiquement à une diminution du nombre des actions en annulation à titre principal d’un brevet en France.
La question de la nullité du brevet sera ainsi certainement à l’avenir traitée quasi exclusivement par le biais d’une action reconventionnelle, ou plus rarement à titre d’exception, dans le cadre d’une action principale en contrefaçon du brevet incriminé, ce d’autant plus que la nouvelle prescription quinquennale ne pourra s’appliquer dans ce contexte.