(Arrêt de la Cour d’Appel de renvoi de Bordeaux du 5 mai 2015)
La société civile Cheval Blanc est titulaire de la marque « Cheval Blanc » qui désigne notamment des vins, connus sous le nom Château Cheval Blanc, premier grand cru classé A des vins de Saint-Emilion.
Elle a fait assigner en 2008 l’EARL Chaussie de Cheval Blanc et M. Chaussie qui exploitent une propriété viticole à Saint-Germain de Grave afin d’obtenir notamment la nullité des marques suivantes : Domaine du Cheval Blanc (dénomination) déposée le 18 juillet 1973 et déposée le 24 janvier 2003 ainsi qu’afin d’obtenir leur condamnation pour contrefaçon par imitation.
La Cour de Cassation a par arrêt en date du 7 janvier 2014 cassé et annulé l’arrêt d’appel en ce qu’il avait rejeté la demande en nullité des marques « Domaine du Cheval Blanc » etet en ce qu’il avait déclaré la société civile Cheval Blanc irrecevable en son action en contrefaçon à raison de l’utilisation du vocable « Cheval Blanc » dans la dénomination sociale « Chaussie de Cheval Blanc ».
Sur ces points donc, la Cour de Cassation a renvoyé les parties devant la Cour d’Appel de Bordeaux qui a rendu un arrêt en date du 5 mai 2015 et qui porte essentiellement sur les points suivants :
- Sur la prescription de l’action en nullité
La Cour d’Appel de renvoi précise que l’action en nullité fondée sur la déceptivité n’est pas une action en contrefaçon. Elle est donc soumise à la prescription de droit commun qui était de 30 ans au moment de l’assignation. La marque « Domaine du Cheval Blanc » ayant été déposée le 18 juillet 1973, la Cour d’Appel de renvoi estime que l’action en nullité introduite en 2008 est prescrite.
Ce n’est pas le cas de l’action en nullité introduite à l’encontre de la marque figurativedéposée en 2003 pour laquelle le délai n’est pas prescrit.
L’action en nullité fondée sur la déceptivité était un bon moyen pour de tenter de contourner l’éventuelle irrecevabilité d’une action en nullité ou en contrefaçon pour cause de tolérance par le titulaire d’une marque antérieure pendant 5 ans.
Il est néanmoins bon de rappeler que depuis la loi du 17 juin 2008, la prescription de droit commun (pour connaître des actions personnelles ou mobilières) est désormais de 5 ans (à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer une action), limitant ainsi considérablement l’intérêt d’agir sur le fondement de la déceptivité plutôt qu’en contrefaçon de marque du point de vue du délai.
Il ne peut qu’être conseillé dans les dossiers de contrefaçon de surveiller le délai de forclusion ou de prescription de 5 ans et de ne pas tarder à agir.
- Sur le fondement de la déceptivité
La société civile Cheval Blanc ne dispose d’aucune marque ou autres droits représentant un cheval. L’étiquetage de ses vins se caractérise non pas par un cheval mais par la représentation d’un château. Il a été jugé que la marquen’était donc pas déceptive.
- Sur l’utilisation du vocable « Cheval Blanc » dans la dénomination sociale « Chaussie de Cheval Blanc ».
L’EARL Chaussie de Cheval Blanc soutient que la reprise du signe « Cheval Blanc » dans sa dénomination n’a pas pour but de désigner un produit mais d’identifier une entreprise. Si la Cour d’Appel reconnaît qu’un tel argument permet en principe d’échapper à la contrefaçon, elle précise toutefois « qu’il en va différemment si la reprise du signe […] porte atteinte à la fonction essentielle de la marque, qui est de permettre au public de reconnaître sans confusion possible un produit et de le rattacher à l’entreprise responsable de sa qualité ».
En l’occurrence, la grande notoriété de la marque Cheval Blanc induit ici, selon la Cour d’Appel, un risque de confusion et la dénomination commerciale « Earl Chaussié de Cheval Blanc » contrefait donc la marque « Cheval Blanc ».
Il est précisé que le fait que celle-ci soit connue pour des vins grands crus St Emilion ne l’empêche pas de déposer sa marque pour d’autres produits visés au dépôt, en l’occurrence du Champagne, sans pour autant être considérée comme déceptive.