Les équipes sportives américaines, dont celles de la ligue nationale de football américain (« NFL »), adoptent souvent pour nom et emblème l’un des symboles historiques de l’Etat dans lequel elles sont situées. Il en va ainsi, par exemple, des « COWBOYS » de Dallas ou des « PATRIOTS» de la Nouvelle-Angleterre, dont les noms et emblèmes rendent hommage à l’histoire des Etats-Unis.
Le nom de l’une des plus anciennes et célèbres de ces équipes, les « REDSKINS » de Washington, fait l’objet depuis de nombreuses années d’un important contentieux sur le terrain du droit des marques.
Des représentants de la communauté amérindienne avaient dès 1992 requis que soit prononcée la nullité de six enregistrements opérés entre 1967 et 1990 de la marque « REDSKINS », enregistrements portant sur les dénominations « REDSKINS » et « WASHIGHTON REDSKINS » ainsi que sur des déclinaisons de ces marques incluant le logo de l’équipe constitué par la représentation de la tête d’un chef indien.
Ils faisaient valoir à cet effet que le terme « redskins » (qui se traduit par « peaux rouges » en Français) est insultant pour la communauté amérindienne.
L’office américain des marques (« USPTO ») avait fait droit à cette demande et prononcé la nullité des enregistrements de la marque « REDSKINS » en cause, en retenant que cette marque pouvait effectivement être perçue comme insultante par la communauté amérindienne.
La société PRO-FOOTBALL INC titulaire de la marque « REDKSINS » avait alors contesté cette décision devant le Tribunal de District du district de Columbia, et en 2003 ce Tribunal infirmait la décision de l’USPTO, motif pris de l’absence de démonstration du caractère insultant de la marque. Un appel avait été introduit par les représentants de la communauté amérindienne contre ce jugement, mais rejeté pour des raisons procédurales.
Une nouvelle demande en nullité a parallèlement été introduite devant l’USPTO, contre les six enregistrements de la marque « REDSKINS » précités, par d’autres représentants de la communauté amérindienne.
L’USPTO, par une décision du 18 juin 2014, a de nouveau considéré que la marque « REDSKINS » peut être perçue comme insultante par la partie de la population américaine composée par la communauté amérindienne, et a prononcé en conséquence la nullité des enregistrements contestés.
La société PRO-FOOTBALL INC a contesté cette décision devant le Tribunal de District du district de Virginie.
Par un jugement du 8 juillet 2015, ce Tribunal a rejeté les arguments de la société PRO-FOOTBALL INC relatifs à l’interprétation du droit américain des marques ainsi qu’à la violation de ses libertés constitutionnelles aux titres des Premier et Cinquième Amendements, et a confirmé la nullité des enregistrements de la marque « RESDKSINS » contestés.
Seuls sont toutefois concernés, à ce stade, les enregistrements de la marque « RESDKINS », la société PRO-FOOTBALL INC conservant un droit d’usage sur ces marques pour ses activités sportives et commerciales.
Nul doute néanmoins que nous ne sommes qu’à la mi-temps de ce contentieux, la société PRO-FOOTBALL INC ayant indiqué son intention de faire appel.
Les droits français et européen des marques prévoient également la possibilité de refuser à l’enregistrement, ou d’annuler après leur enregistrement, les marques dont la représentation ou la signification sont insultantes ou offensantes pour une partie de la population.
Au niveau européen plus particulièrement, l’article 3 § 1 f) de la Directive 2008/95 et les articles 7 §1 f) et 52 du Règlement 207/2009 sur la Marque Communautaire prévoient que doivent être refusées à l’enregistrement ou annulées après leur enregistrement « les marques qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ».
La jurisprudence communautaire reconnaît que les insultes racistes et les termes offensant pour une communauté sont par nature contraires à l’ordre public européen et notamment aux principes présents dans les traités européens ainsi que dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
Sur ce fondement, la marque communautaire « PAKI » a ainsi été jugée contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs par un arrêt du Tribunal de l’Union Européenne du 5 octobre 2011.
Par une décision de recours du 6 février 2015, l’Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur (« OHMI ») a, de même, refusé à l’enregistrement la marque « MECHANICAL APARTHEID ».
Ces dispositions peuvent être source de difficultés pour les déposants de marques communautaires, dans la mesure où les textes et la jurisprudence communautaires imposent une application sévère de ce motif absolu de refus:
- Il suffit que la signification ou la représentation de la marque soit insultante ou offensante dans un seul des 27 Etats Membres de l’Union Européenne, considéré individuellement, pour que cette marque soit nulle.
- Il convient, pour déterminer si la marque est potentiellement insultante ou offensante, de tenir compte non seulement de la perception commune du public européen dans son ensemble, mais également de la perception de l’ordre public et des bonnes mœurs dans chacun des 27 Etats Membres de l’Union Européenne considéré individuellement, au regard de ses propres critères linguistiques, historiques, sociaux et culturels nationaux.
- Si, pour d’autres motifs absolus de refus, la validité d’une marque doit en principe être appréciée pour les seuls produits et services revendiqués et au regard du seul public auquel s’adressent ces produits et services, il suffit ici que la marque soit insultante ou offensante pour une partie des personnes qui pourront être confrontées à la marque dans leur vie quotidienne (même de manière incidente et s’ils ne sont pas les consommateurs auxquels s’adresse la marque) pour que cette marque soit nulle quels que soient les produits et services en cause.
- La bonne foi du déposant, qui peut en pratique ignorer une possible signification insultante ou offensante dans d’autres pays et dans une autre langue, est en principe indifférente pour échapper à la nullité de la marque.
Les déposants sont ainsi invités à redoubler de vigilance lors du dépôt d’une marque communautaire, mais également dans un pays étranger.